Décoration de M. Piotr Cywiński dans l’Ordre de la Légion d’Honneur [pl]

Discours à l’occasion de la décoration de M. Piotr Cywiński
dans l’Ordre de la Légion d’Honneur
Résidence de France, le 17 janvier 2019

Monsieur le Directeur,
Monsieur le Médiateur,
Monsieur l’Ambassadeur d’Allemagne,
Madame l’Ambassadeur d’Israël,
Monsieur le chargé d’affaires des Etats Unis d’Amérique,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,

J’ai l’honneur et le plaisir de vous accueillir à la résidence de France. Nous sommes réunis aujourd’hui pour vous honorer, cher Piotr Cywiński, en vous remettant les insignes de chevalier de l’ordre national de la Légion d’honneur. Vous êtes entouré de votre famille et de vos amis. Le vice-ministre de la culture, Jaroslaw Sellin, devait nous faire l’honneur de sa présence. Je comprends qu’il a été retenu par d’autres obligations. Nous avons également parmi nous les représentants des institutions françaises et polonaises avec lesquelles vous coopérez étroitement.

L’Ordre national de la Légion d’honneur est la plus haute distinction française. Il a été institué par Napoléon Bonaparte en 1802. Il récompense les mérites de personnalités ayant œuvré de façon exemplaire au rayonnement de la France et des valeurs qu’elle défend et promeut dans le monde.

Avant de vous remettre vos insignes, j’évoquerai comme le veut la tradition, les raisons qui vous valent d’être ainsi distingué par la France.

Il n’est jamais facile de résumer, dans une telle occasion, en quelques phrases, la vie d’un homme, de découvrir sa pâte humaine, le fil directeur de son engagement. L’exercice est encore plus singulier aujourd’hui. Il s’agit à la fois de rendre hommage au parcours d’une personnalité, et à la cause qui le guide. Cette cause, - préserver et faire vivre le site d’Auschwitz-Birkenau -, nous concerne tous, nous dépasse, nous écrase, pour que la barbarie ne se reproduise plus. Je sens d’ailleurs beaucoup d’émotion parmi nous.

Piotr Cywiński,

Né à Varsovie, vous effectuez vos études en France et en Pologne. En tant qu’étudiant, vous commencez déjà à agir en faveur des échanges et du rapprochement entre les cultures en Europe. Sans retracer toute votre carrière universitaire, je voudrais faire remarquer tout de même que vous êtes diplômé d’histoire médiévale, ce qui vous place dans la grande tradition des médiévistes polonais francophones, de Bronisław Geremek à Karol Modzelewski. De retour en Pologne, où vous poursuivez des études d’histoire à l’université de Lublin, vous vous engagez en faveur de l’intégration européenne de votre pays. Par la suite, la Commission européenne vous nomme en 2008 ambassadeur en Pologne de l’Année européenne du dialogue interculturel.

Historien reconnu et respecté, votre carrière professionnelle vous a rapidement mené vers le musée national d’Auschwitz-Birkenau dont vous prenez la direction en 2006. Vous dirigez ce haut lieu de mémoire, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, ainsi que la fondation Auschwitz-Birkenau, à laquelle la France contribue, et êtes membre du Conseil international du musée (après en avoir été pendant plusieurs années le secrétaire). Vous êtes également membre de nombreux conseils, comités et associations en lien avec la mémoire, les droits de l’Homme et le dialogue œcuménique.

C’est une haute et grande mission qui est la vôtre, la responsabilité d’un lieu central dans l’histoire de la Shoah, chargé aussi d’une histoire qui a marqué dans leur chair la plupart des pays d’Europe, à commencer par le vôtre.

C’est un musée pas comme les autres, celui où sont exposés les abîmes de l’humanité, le crime absolu, la mort industrielle, l’extermination d’êtres humains, la plupart du seul fait de leur naissance, Juifs et Roms, et d’autres parce qu’ils ont résisté à la barbarie nazie ou n’ont pas voulu renier leurs convictions.

Comment rendre accessible le site au plus grand nombre tout en le préservant ? Comment exposer l’horreur et sa signification pour l’humanité ? Comment transmettre cette expérience de l’enfer ? Comment, derrière les statistiques et les matricules, redonner vie aux parcours singuliers de femmes, d’hommes et d’enfants ?

Voilà quelques-unes des questions, -je l’imagine-, que vous vous posez en permanence.

Francophone et francophile, vous êtes toujours disponible, quand votre emploi du temps chargé le permet, pour accueillir les nombreuses délégations françaises. Vous avez notamment été la cheville ouvrière de l’organisation des grandes commémorations du soixante dixième anniversaire de la libération d’Auschwitz le 27 janvier 2015 à laquelle ont pris part le Président de la République, François Hollande, et une importante délégation française comprenant des rescapés. Pour la France, en effet, le souvenir de ses déportés reste très vif.

Je vous remercie à cet égard pour la coopération intense et exemplaire entre le Consulat général de Cracovie et le musée pour l’entretien et la modernisation du Pavillon français, ainsi que pour la disponibilité de vos équipes. Leur dévouement a été démontré, une fois de plus, à l’occasion du tournage du film à la mémoire de Simone Veil en vue de son hommage national au Panthéon, avec durant la minute de silence, l’enregistrement de l’aube à Birkenau.

Nous saluons votre engagement constant en vue de renforcer la coopération avec les grandes institutions mémorielles françaises. En témoignent la coopération récente avec Serge Klarsfeld pour la mise en œuvre de l’exposition consacrée à David Olère, ainsi que l’accord de coopération signé en mars 2018 avec le musée du camp des Milles.

Cher Piotr, vous êtes un humaniste dont la parole compte en France. Dans le contexte actuel, vous faites face avec ténacité aux débats difficiles autour des questions mémorielles et persévérez sans faillir dans la sauvegarde de l’authenticité du témoignage de ces lieux où viennent un nombre croissant de visiteurs du monde entier. Les derniers survivants sont en train de nous quitter. Je pense à Marceline Loridan-Ivens que j’ai revue pour la dernière fois à l’hommage à Simone Veil au Panthéon. Votre mission est encore plus exigeante à mesure que l’histoire peut s’estomper, que peuvent s’imposer l’oubli, l’ignorance, l’indifférence ou la négation. Ne laissons pas revenir le vide de la pensée dans lequel s’inscrit le mal, pour reprendre les mots d’Hannah Arendt. D’où l’importance d’écouter les derniers survivants, de laisser les historiens travailler librement et de favoriser la recherche.

Votre nomination dans l’ordre national de la Légion d’Honneur a une haute et belle signification : la République française se reconnait pleinement dans votre engagement. La lutte contre le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie sont au cœur de ses valeurs, comme ses combats pour les droits humains et notre Europe.

Piotr Cywiński, au nom du Président de la République, nous vous remettons les insignes de chevalier de l’Ordre national de la Légion d’Honneur.

Dernière modification : 17/01/2019

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